Le train qui filait à toute allure donnait à Timothy Goodwin l'impression d'aller plus vite que le vent, mais pas cependant l'impression de pouvoir échapper à ses vieux démons. Il revenait de Hartford, capitale du Connecticut, où il avait quelques affaires à régler ; La plupart des gens s'y seraient rendus en voiture plutôt que de s'embêter à étudier les correspondances entre les trains pour s'y rendre, ce n'était pas si loins que ça après tout ... Mais pas Tim. Non, notre jeune homme avait depuis longtemps déjà décidé d'abandonner la voiture lorsqu'il avait une autre solution à disposition, non pas parce qu'il était écolo jusqu'à la moelle mais plutôt parce qu'il avait toujours cette appréhension lorsqu'il se retrouvait derrière le volant. Quoi de plus normal cela dit lorsque le seul et unique accident de voiture que l'on avait eut dans sa vie avait coûté la vie à ses deux parents ... C'est sûr que ça n'aidait pas à mettre en confiance, même lorsque l'on s'en était soi-même sortit - presque - indemne.
Pas de voiture donc, mais un train de banlieue qui s'arrêtait à toutes les gares et rallongeait son trajet de plusieurs heures ... Mais quoi, il n'était pas pressé de toute façon, d'ailleurs à New Heaven on était jamais pressé, c'était le genre d'endroits où on avait l'impression que se poser et prendre le temps de vivre un peu était mille fois plus facile que dans les villes aux dizaines de milliers d'habitants. D'un naturel assez casanier Timothy ne pouvait donc reprocher à cette ville de Nouvelle-Angleterre son calme, c'était d'ailleurs ce qui leur avait plu, à et lui et sa femme lorsqu'ils avaient emménagé ici la première fois. Ça, notre jeune homme se souvenait comme si c'était hier de cette époque où il repeignaient les murs défraichis de la maison qu'ils avaient acheté sur Ministry Lane, époque où ils avaient encore des illusions pour espérer ...

« New Heaven, 3 minutes d'arrêt ! » La voix grésillante du haut parleur au dessus de sa tête le sortit brusquement de ses pensées. Déjà ? Il n'avait pas vu le temps passer, comme quoi avoir un trajet plus long n'était pas si terrible que ça en fin de compte.

Quoi qu'il en soit voilà maintenant notre jeune homme sur le quai de la gare, où histoire peut-être un dernier essai pour faire râler le jeune homme il s'était justement mis à pleuvoir. Mais non, même l'idée de se pendre la flotte n'était pas suffisante pour mettre Timothy sur les nerfs, à vrai dire il en fallait même beaucoup plus que ça car notre ami n'était pas homme à s'énerver pour un rien. Peut-être que plus jeune ce fut le cas, mais il n'avait plus dix-sept ans et il avait appris avec les années à mesurer son impulsivité et sa mauvaise humeur. La pluie donc ? Cela le rafraichirait un peu, et si il choppait un rhume et bien tant pis, il avait une réserve de boite de mouchoirs chez lui.
Courant néanmoins pour ne pas rester sous l'eau pendant des heures, il atteignit bientôt S^t Madelaine, l'église de New Heaven. Parce qu'il se sentait un désir soudain de confesser ses pêchés personnels ? Non, plutôt parce qu'il était celui à qui on venait se confesser, Timothy était en effet le pasteur de New Heaven. Il était tombé dans le bain un peu par hasard, l'église tous les dimanche, la théologie, ce n'était pas vraiment le genre de truc dans lequel il avait grandi, et sans vraiment parler de "révélation" il ne niait pas qu'il avait su qu'il deviendrait pasteur dès qu'il en avait appris un peu plus sur la chose. Et à l'époque où il n'avait plus aucun espoir de faire quelque chose de sa vie cela s'était un peu présenté comme une bouée de sauvetage.

Ses pas raisonnaient tandis qu'il remontait l'allée centrale tout en secouant légèrement la tête pour chasser les quelques gouttes de pluie qui dégoulinaient le long de ses tempes. Tirant machinalement sur les manches de son blouson il ne put réprimer un frisson. Bon, d'accord, peut-être que s'aventurer sous la pluie comme un ado en quête de liberté n'était pas d'une intelligence à toute épreuve, mais il était trop tard pour s'en rendre compte maintenant de toute manière.
Ayant presque atteint le chœur de l'église, qui n'était pas non plus du genre immense, Tim s'apprêtait à tourner à droite pour rejoindre la pièce attenante, qui n'était autre que son bureau, et où il espérait se poser le temps que la pluie cesse et qu'il ai pu avalé un café ... Pourvu qu'il reste un filtre quelque part, cela faisait bien une semaine qu'il se disait à lui-même qu'il faudrait en racheter sans pour autant s'être décidé à le faire. Ses pensées vagabondaient tellement de l'une à l'autre qu'il ne remarqua qu'au dernier moment la jeune femme assise sur un des bancs du deuxième rang, les coudes posés sur le dossier de la rangée devant et l'air pensif. Il la connaissait, et en savait assez pour pouvoir dire sans l'ombre d'un doute qu'elle n'était pas du genre à chercher l'approbation du Seigneur, mais cela dit cela n'empêchait en rien le fait qu'il la trouve de bonne compagnie.

« Mademoiselle Townsen » Affichant un sourire, le jeune homme s'était arrêté à sa hauteur et avait posé ses yeux sur elle d'un air agréablement surpris.
« Je savais bien que vous viendriez ... Vous semblez passer plus de temps ici que moi dans ma propre maison » lui avait-elle répondu de son air amusé, chose plutôt habituelle d'ailleurs chez elle
« Après tout c'est mon métier » Esquissant un nouveau sourire, il ne tarde pas à ajouter « Qu'est-ce qui me vaut l'honneur de votre visite, vous désirez quelque chose ? » il doutait qu'elle soit ici parce qu'elle avait eut une soudaine envie de se mettre à la prière, il ne l'en blâmait pas bien sûr mais cela n'empêchait pas qu'il y voyait assez clair.
« Vous voir pourrait être une bonne raison vous ne croyez pas ? » laissant échapper un léger rire elle avait ensuite ajouté « Mais vous n'étiez pas là, c'est bien la première fois que ça m'arrive ... Et comme il pleuvait, je suis restée un peu »
« Et vous avez bien fait » Non décidément, il n'y avait rien qui puisse mettre Tim de mauvaise humeur aujourd'hui, et on avait déjà vu plus désagréable compagnie que celle d'une jolie femme, même lorsque l'on portait soi-même une alliance. « Je vous offre un café ? »

Lorsque les deux jeunes gens avaient quitté l'église S^t Madelaine la pluie avait cessé, mais la nuit était pratiquement tombée également ; Discutant sans se soucier de l'heure qu'il pouvait être ils n'avaient pas vu le temps passer. Sa voiture étant garée à quelques mètres Shannen avait proposé au pasteur de le raccompagner, mais ce dernier avait gentiment décliné l'invitation en prétextant son désir de marcher un peu. Et puis il avait toujours aimé l'odeur de la pluie sur le tarmac, pour beaucoup c'était une odeur considérée comme désagréable mais pour lui cela avait quelque chose d'apaisant.
Finalement il avait atteint sa maison de Ministry Lane une vingtaine de minutes plus tard, et après avoir accroché son blouson dans le placard de l'entrée il avait fait encore quelques pas pour atteindre le bas de l'escalier qui menait à la chambre de Dana. Elle était là, Tim avait pu voir de la lumière à la fenêtre, mais cependant le « J'suis rentré ! » qu'il cria pour se faire entendre à travers la porte sans doute fermée ne déclencha aucune réponse. Ouais, elle avait ses bons et ses mauvais jours, et aujourd'hui ne semblait pas être un jour assez bon pour qu'elle daigne lui répondre.

Secouant la tête et le pouvant réprimer un léger soupir, Tim décida cependant de ne pas insister et gagna le salon où la baie vitrée donnait sur la terrasse occupant une partie du jardin. Entrouvrant la baie vitrée il avait du même coup sortit son paquet de cigarette et son briquet, et s'en allumant une il range ensuite le tout ; Il refusait que l'on fume à l'intérieur de la maison, mais là il avait un pied sur la terrasse alors c'était comme si ... Oh et puis tant pis, de toute façon il était tout seul, alors.
Il en était déjà aux trois quarts de sa clope lorsque son téléphone portable vibra au fond de son autre poche. Pestant en se demandant bien qui pouvait l'appeler, il écrasa son mégot dans le cendrier non loin de lui avant d'enfin sortir le mobile de sa poche et de répondre sans même prendre le temps de voir qui était à l'autre bout du fil. Il n'eut cependant pas à attendre bien longtemps pour avoir la réponse à cette question puisqu'il ne lui fallut pas bien longtemps pour reconnaitre la voix de Jude.

« Allô ? Ah ! Alors ? Comment c'est là-bas ? » C'est vrai, Jude avait promis d'appeler lorsque lui et sa femme se seraient installé dans leur nouvelle maison, à Savannah en Georgie. Il avait dit qu'il appellerait Timothy s'en souvenait totalement, mais il n'avait pas vu le temps passé et avait peine à réaliser que l'on était déjà jeudi soir.

Jude n'était rien de moins que le meilleur ami de Tim et ce depuis un sacré paire d'années maintenant. A vrai dire les deux hommes s'étaient connu alors qu'ils avaient une dizaine d'année à peine, lorsque Jude avait emménagé dans la banlieue de Norfolk, en Virginie. Il n'y avait aucun hasard là-dedans, si les deux garçons habitaient cette banlieue c'était parce qu'il s'agissait d'une base militaire et que leurs paternels étaient tous les deux Marines. Jude et Tim avaient donc passé une grande partie de leur enfance tous les deux, fréquentant les mêmes établissements scolaires et les mêmes personnes ; Ils avaient toujours été présents l'un pour l'autre, même dans les pires situations. Comme par exemple celle où Tim s'était retrouvé en prison ... Jude avait été le seul de ses amis à ne pas lui tourner le dos, et ce jour là notre pasteur avait pleinement pris conscience du fait que Jude était le seul et l'unique véritable ami qu'il avait. Bien sûr Jude n'avait pas trouvé d'excuses à Tim, il s'était retrouvé derrière les barreaux parce qu'il l'avait mérité, mais cela dit Jude avait très vite compris qu'une peine de prison était loin d'être la pire des punitions pour le jeune homme, et que la culpabilité qui le suivrait toute sa vie en serait une bien pire. Comment en effet réussir à se pardonner le fait d'avoir causé la mort de ses deux parents ? D'avoir fait de ses deux sœurs, dont la plus jeune avait à peine un an à l'époque, des orphelines à qui il ne restait plus qu'un frère derrière les barreaux ? On y arrivait pas, on ne pouvait que tenter de faire avec tout en sachant qu'on se demanderait tout le reste de sa vie pourquoi puisque père, mère et fils avaient un peu trop bu ce soir de nouvel an, pourquoi bon sang n'avoir pas appelé un taxi ? Pourquoi avoir été assez bête pour penser que le mieux serait de faire conduire celui qui avait le moins bu ? Pourquoi avoir été assez idiot pour se dire que "c'est juste trois kilomètres, c'est pas la mort" ... Pas la mort, ça c'était une blague de très mauvais goût. Et puis pourquoi c'est moi qui conduisait ? Et pourquoi moi j'suis toujours là et eux non ? Ça c'était le genre de questions que Tim se poserait sans doute tous les matins jusqu'à la fin de sa vie ...

Jude et Tim avaient discuté une dizaine de minutes avant de finalement raccrocher après que Tim ai passé le bonjour à la femme de son ami. Rangeant le téléphone dans sa poche tout en notant dans un coin de sa tête qu'il devrait le remettre en charge ce soir avant d'aller se coucher, il est est ensuite tenté de s'allumer une seconde cigarette. Pourtant il savait qu'il devait arrêter ... Mais tant pis, ça serait pour une prochaine fois, se dit-il en s'en allumant une autre.
Il était toujours adossé à l'encablure de la fenêtre lorsqu'une voiture bleu métallisé s'arrêta devant le portail du jardin. Quelques instants plus tard en descendit une jolie blonde au sourire toujours bienveillant, qu'elle adressa au conducteur de la voiture qui ne tarda pas à redémarrer. La dernière trouvaille de sa petite sœur sans doute, petite sœur de vingt-neuf ans peut-être mais petite sœur tout de même. En tout cas l'air dubitatif de Tim n'échappa pas à la jeune femme qui sans rien dire ne se gêna pas cependant pour adresser elle d'autres reproches à son frangin

« Tu vas arrêter combien de fois de fumer avant d'arrêter d'acheter des clopes ? » Tim roula des yeux sans rien répondre, il n'aurait pas du allumer cette deuxième cigarette, il le savait. Mais maintenant que c'était fait il comptait bien la fumer jusqu'au bout, ce qui ne sembla pas être de l'avis de Nancy qui lui arracha le mégot des mains pour aller l'écraser elle-même dans le cendrier « Je viens de te faire gagner plusieurs jours de vie en plus, pense à me remercier un de ces jours »
« C'est charmant vraiment » répondit-il d'un air faussement vexé. Cela dit elle n'allait pas s'en tirer comme ça « C'est pas le type du bar qui vient de partir ? »
« Si c'est lui ... Et j'me passerai de tes commentaires, je sais très bien c'que tu vas me dire » que ce type était un connard, sans aucun doute. Il faut dire que Nancy avait le don pour attirer ce genre de mecs qui ne méritaient même pas qu'elle pose les yeux sur eux ...

Flash-Back

Citation :

« Pourquoi vous ne venez pas danser ? » Tendant la main vers la jolie blonde devant qui il s'était planté, Tim laissa échapper un sourire tout en ne la quittant pas du regard.
« C'est pas avec toi que j'étais censée danser ... » Lâchant un soupir la jeune femme avait à son tour levé la tête vers lui tout en essuyant d'un revers de la main les quelques larmes qui s'étaient éternisées sur ses joues et avaient fait couler son mascara.
« Crois-moi tu perds sans doute pas au change » Et sans lui laisser le temps de répondre autre chose il lui avait attrapé la main, l'avait attiré vers lui et l'avait entrainé vers la piste ou plusieurs couples dansaient déjà.

La jolie blonde n'était autre que sa petite sœur, de six ans sa cadette. Nancy était intelligente et elle avait en plus de ça la gentillesse comme seconde nature, mais là était justement le problème : Elle était trop gentille, et avait le don pour toujours tomber sur des hommes qui en profitaient mais n'étaient pas prêt à lui rendre la pareille. Ce genre de situation, où elle ruminait et qu'il venait lui remonter le moral en tentant de lui changer les idées, était devenue monnaie courante et de ce fait il était difficile pour Tim de ne pas se méfier et même se montrer assez froid lorsque la sœur s'entichait d'un nouveau jeune homme.
Cela dit il n'était pas venu ici ce soir simplement parce qu'il pressentait que Nancy allait une nouvelle fois se faire jeter, non à vrai dire il y était aussi pour se changer un peu les idées et penser à autre chose qu'à la dispute qui avait une nouvelle fois éclatée entre lui et son autre soeur, Dana. La petite dernière de la famille, née lorsque Tim avait dix-sept ans, n'était pas franchement un modèle de gentillesse et de bonne fois et les clash avec son frère ainé n'étaient de ce fait pas rares. Cela n'empêchait pas Tim de tenir à sa sœur bien entendu, mais il fallait bien avouer que leurs relations n'étaient pas des plus idylliques.

« Tim ... On rentre ? » La musique s'était tût pour quelques instants et à en juger par la mine de Nancy elle n'était pas vraiment motivée à rester dans les parages. Quant au jeune homme il jeta un rapide coup d'oeil à sa montre ; A cette heure-ci Dana avait déjà du retourner s'enfermer dans sa chambre. Bien, il n'y aurait pas de troisème conflit mondial déclenché dans le salon ce soir.
« On rentre ... Mais seulement si j'ai droit à un sourire avant » Ce fut un sourire forcé bien entendu, mais c'était toujours ça, et souriant à son tour il quitte donc avec elle la piste de danse pour longeant la salle regagne avec elle la sortie.

Fin du Flash-Back

Ouais, et c'était comme ça presque à chaque fois, que ce soit à propos de Nancy ou bien à propos de Dana. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'y avait pas de quoi s'ennuyer chez les Goodwin.

Ce soir là cependant Dana daigna les honorer de sa présence lorsqu'il fut l'heure de manger, et le repas se passa même sans que la moindre contrariété ne vienne le troubler, cela ne relevait pas non plus de l'exploit mais c'était cependant agréable d'en profiter histoire de compenser avec les soirs moins calmes. Cela dit la plus jeune des Goodwin remonta bien vite dans sa chambre une fois son repas englouti, retournant à ses partitions de violon. Qu'on se le dise, la demoiselle était une véritable virtuose, le seul problème étant qu'elle en avait totalement et même sans doute un peu trop conscience ; Cela dit Tim avait renoncé à l'idée de réussir à rendre sa sœur un peu plus humble. On ne pouvait nier de toute manière qu'elle avait un réel talent, dans la famille ils avaient toujours été attirés par la musique et Tim jouait lui-même très bien du piano, mais cela n'avait rien à voir avec les capacités de Dana. Mais bref, la demoiselle donc semblait bien décidée à faire comprendre à son frère et sa sœur qu'ils ne vivaient tous les trois pas dans le même monde.
Nancy s'était désignée d'elle-même pour faire la vaisselle ce soir, Tim avait donc décidé d'aller prendre un peu l'air, mais pour cela Nancy s'assura qu'il s'en allait sans son paquet de cigarette ... Ouais, il pouvait toujours en acheter un autre cela dit, mais il ne le fit pas, d'ailleurs ce n'était même pas dans cette idée là qu'il voulait sortir s'aérer un peu.

Une vingtaine de minutes lui avaient été nécessaires pour rejoindre le cimetière de New Heaven. Bien sûr passé une certaine heure il était fermé, c'était le cas maintenant, mais il fallait bien plus qu'une grille fermée pour décourager Timothy. Prenant donc soin de faire le tour de la propriété, il atteignit le côté opposé à l'entrée principale et sans se démonter escalada le mur de deux mètres à peine qui entourait l'endroit. Bah quoi, on a jamais dit que parce qu'on était pasteur on ne pouvait pas faire les choses à sa manière de temps en temps.
Le chemin il le connaissait par cœur et aurait pu le faire les yeux fermés ... Cela tombait bien, puisque justement il faisait nuit et que l'on y voyait pas grand chose. Et même de nuit il y avait un truc qui ne trompait pas, le cimetière de New Heaven était à l'image du reste de la ville, et donnait une image rangée et calme ... Pas le genre de cimetière qui partait en friches et sentait le mort-vivant quoi. Malgré tout cela faisait un petit moment déjà qu'il n'avait pas mis les pieds dans cette allée ... Pourquoi ? Il n'en savait trop rien à vrai dire, sans doute pour s'éviter le cafard qui le suivait tout le reste de la journée lorsqu'il avait l'idée de venir s'échouer ici pour quelques instants. Et puis quel idiot, il n'avait même pas amené de fleurs, il était vraiment nul ... Certes il le ferait demain, mais ça ne serait pas pareil.

« Hey ... » S'accroupissant devant la tombe où il s'était arrêté, Tim posa une main sur le marbre froid et marqua une pause de plusieurs secondes avant de reprendre « Joyeux Anniversaire » et de ne finalement rien rajouter d'autre.

Flash-Back

Citation :

« Joyeux Anniversaire » dit-il en déposant un baiser sur le front bardé d'une frange auburn de son épouse. En temps normal il lui aurait monté le petit déjeuner, mais cela faisait déjà plusieurs jours qu'elle ne réussissait plus à avaler quoi que ce soit et il s'était donc contenté d'une tasse de thé fumante qu'il avait posé sur la table de nuit. « Bien dormi ? »
« Mieux oui » Ce n'était pas vrai, mais le dire c'était déjà y croire un peu, elle en était persuadée. « Merci » avait-elle répondu avant de passer ses deux bras autour du cou de Tim et de déposer un baiser sur ses lèvres, avant d'ajouter « T'es pas à l'église ? »
« J'ai pris un jour de congé » fut la seule réponse du jeune homme, qui tenta de garder un air détaché.
« Un dimanche ? » Pour un pasteur c'était assez inhabituel c'était certain. Mais la jeune femme avait très bien compris le manège de son époux « Tu m'avais promis Tim ... »
« Je sais mais ... » la vérité c'est qu'il y avait certains moments où cette promesse était de plus en plus difficile à tenir, pourtant ce n'était pas faute de faire des efforts. « C'est juste ... c'est sans doute la dernier anniversaire qu'on fêtera alors ... » pas besoin de rajouter la fin de la phrase, elle avait compris où il voulait en venir.

Sara avait développé les symptômes d'une leucémie aiguë myéloblastique huit mois plus tôt, une forme à priori soignable et qui les avait laissé espérer. C'est vrai que la jeune femme était vite allée mieux, mais c'était avant que les choses ne deviennent pire qu'elles l'étaient au départ, et il y a trois mois les médecins tout comme Tim et Sara avaient du se rendre à l'évidence et accepter qu'il n'y avait malheureusement plus rien à faire ... Mais si la jeune femme semblait maintenant s'y être résignée ce n'était pas le cas de Tim, qui en était maintenant à avoir peur de s'endormir le soir de peur de se réveiller seul le lendemain matin. Il avait fait cette promesse à Sara de ne pas s'apitoyer et de se contenter de profiter autant qu'elle du temps qu'il leur restait, mais cela dit ce qu'il savait aussi c'était que c'était lui qui se retrouverait seul lorsqu'elle serait partie. Il ne comprenait pas comment elle pouvait accepter aussi facilement la défaite, ou si ce n'était pas le cas alors il ne comprenait pas pourquoi elle le laissait croire qu'il était le seul à trouver cela insurmontable. C'était lui qui était censé être l'homme de foi, et pourtant il avait l'impression qu'une injustice pareille allait à l'encontre de tout ce en quoi il croyait.

« Rien n'arrive par hasard, c'est toi qui l'a toujours dit ... » Elle avait fait signe à Tim de venir s'assoir à côté d'elle puis avait posé sa tête contre son épaule. « Peut-être que c'est le cas là aussi »
« Faut pas écouter tout c'que je dis, c'est le genre de conneries qu'on raconte aux gens pour qu'ils ne parlent pas d'injustice » Et comme on sait, il est fréquent que l'on ne suive pas les conseils que l'on donne soi-même aux autres. « Et je pourrai jamais trouver de raison valable à ce qui t'arrive, y'a rien de plus injuste que ça à mes yeux »
« Tu dis ça maintenant, mais le temps finira par passer ... » Comment pouvait-elle être toujours aussi calme et pleine de philosophie lorsqu'il s'agissait de sa propre mort ? Elle n'en savait rien, mais c'était sans doute la meilleure façon de le prendre selon elle. « Et puis j'aurai pu tomber plus mal, je vais finir mes jours dans l'endroit le plus tranquille que je connaisse et où je garde tous mes souvenirs importants »

Mais pour Tim ce n'était pas une consolation suffisante, loin de là d'ailleurs. Cependant il n'ajouta rien de plus et se contenta de passer un bras autour des épaules de sa femme. Il ne savait pas combien de temps encore il pourrait l'avoir auprès de lui, aussi se surprit-il à prier pour que ce moment ne se termine jamais ...

Fin du Flash-Back

« Oui ... c'est un endroit tranquille par ici. » murmura-t-il comme une réponse plus que tardive à Sara. Demain il reviendrait avec un bouquet de roses, des jaunes, parce que cela avait toujours été ses préférées.

Elle était partie il y a déjà quatre ans, et Tim avait ses deux impressions contradictoires que c'était il y a des millénaires et en même temps qu'ils étaient encore ensemble hier. Lorsqu'elle était morte il l'avait pris comme un énième moyen pour le destin de le punir d'avoir causé la mort de ses parents, et puis le temps passant il avait compris que Sara avait en fait été mise sur son chemin pour lui redonner de l'espoir, l'espoir nécessaire pour continuer à croire. Cela ne faisait pas moins mal bien sûr, et Sara ne lui manquait pas moins, mais il savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne la retrouve. Demain, dans dix ans ou dans cinquante, peu importe, il attendrait jusque là ...